Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C'est à lui de trouver la vérité. Mais comment? Grave incertitude, toutes les fois que l'esprit se sent dépassé par lui-même; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher? pas seulement: créer. Il est en face de quelque chose qui n'est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. (Proust. Du côté de chez Swann.)
Il ne s'agit plus de dire : créer, c'est se ressouvenir -- mais se ressouvenir, c'est créer, c'est aller jusqu'à ce point où la chaîne associative se rompt, saute hors de l'individu constitué, se trouve transférée à la naissance d'un monde individuant. Et il ne s'agit plus de dire : créer, c'est penser -- mais penser, c'est créer, et d'abord créer l'acte de penser dans la pensée. Penser, c'est donner à penser. Se re-souvenir, c'est créer, non pas créer le souvenir, mais créer l'équivalent spirituel du souvenir encore trop matériel, créer le point de vue qui vaut pour toutes les associations, le style qui vaut pour toutes les images. C'est le style qui substitue à l'expérience la manière dont on en parle ou la formule qui l'exprime, à l'individu dans le monde le point de vue sur un monde, et qui fait de la réminiscence une création réalisée. (Deleuze. Proust et les signes. 119-20)